Contre l’interdiction du foulard
L’Assemblée générale de Garance du 17 décembre 2018 a adopté le texte suivant :
Préambule : il ne s’agit pas ici d’être « pour » ou « contre » le foulard. Il s’agit de se positionner sur son interdiction, et ce que cela peut signifier pour celles qui le portent.
Position à défendre : En tant que citoyennes refusant de hiérarchiser les cultures, nous sommes contre une interdiction du foulard sous prétexte d’une « neutralité » qui revient surtout à considérer « nos » habitudes, « nos » façons de vivre comme les plus « normales », les autres n’étant que des « spécificités ». Comme féministes soucieuses de l’émancipation de toutes les femmes, nous refusons l’interdiction du foulard qui enfermerait celles qui le portent dans certaines écoles, certains métiers ou environnements de travail, ou pire encore chez elles, en restreignant leurs capacités de choix. Nous refusons de la même façon toute obligation de le porter, comme nous refusons toutes les innombrables autres obligations imposées aux femmes.
Argumentaire : Les arguments en faveur d’une interdiction du foulard peuvent être classés dans deux catégories : le foulard serait « une atteinte à neutralité », et un « signe de soumission des femmes ».
Le foulard serait une atteinte à la neutralité
D’abord, il faut savoir à qui s’adresse la « neutralité ». Si elle s’impose aux représentant.e.s de l’Etat, elle ne concerne pas les usagers.ères de ses services. On ne peut donc, au nom de la « neutralité », interdire le foulard pour les élèves à l’école, ni dans les emplois dans le privé. Aucune raison qu’une vendeuse, une architecte ou une directrice d’association ait une apparence « neutre ».
La question se pose autrement pour les profs, les agent·e·s de police, le personnel aux guichets des administrations. Là, il faut oser déconstruire cette idée même de « neutralité ». Nous avons tendance à considérer comme « neutre » ce qui nous ressemble. Si nous admettons que nous vivons dans une société multiculturelle, nous devons admettre qu’un costume-cravate, un tailleur ou le « jeans-t-shirt » (même sans inscription subversive) font, eux aussi, passer un message, qui n’est pas perçu de la même manière par l’ensemble de la population.
L’argument selon lequel un couple homosexuel souhaitant se marier serait mal à l’aise à la commune face à une employée voilée, devrait être mis sur le même pied que le malaise que peut ressentir un.e bénéficiaire du CPAS face à un.e employée portant des habits supposés chers. Pour l’un.e comme pour l’autre, c’est le professionnalisme qui doit l’emporter, et un mauvais accueil constitue une faute professionnelle à sanctionner. « L’habit ne fait pas le moine » n’est pas un proverbe musulman.
L’argument est encore moins recevable pour des candidates aux élections : on vote pour des représentant.e.s, non pas pour leur « neutralité » mais au contraire, justement, pour les idées, les positions qu’ils/elles défendent.
Le foulard serait un signe de la soumission des femmes
Pour des féministes, c’est évidemment l’argument central. On peut penser que l’oppression des femmes se manifeste autant par des obligations que des interdits en matière d’habillement. Si l’on admet que les femmes ont le droit de se promener en mini jupe, de se maquiller (avec des produits parfois nocifs) ou de porter des hauts talons (qui peuvent abîmer les pieds et les genoux), elles doivent avoir le droit de porter le foulard (qui ne nuit pas à la santé). Le parallèle fait parfois avec l’excision est tout simplement indigne : le foulard n’est pas une mutilation et son port est réversible à tout moment.
Oui, mais… quelques arguments à réfuter
- « C’est une obligation imposée aux femmes. » Si c’est une obligation, c’est une violence, et il est clair qu’il faut combattre toutes les violences. Certes, l’obligation peut prendre différentes formes ; certaines femmes le porteraient non pas par vrai choix (encore faudrait-il définir ce qu’est un vrai choix…), mais juste « pour avoir la paix ». Il s’agirait alors d’une « conduite d’évitement » comme il y en a tant d’autres, dans la façon de s’habiller, d’éviter certains lieux et certaines heures… Comme pour tous les autres cas, on peut proposer aux femmes des outils pour les renforcer, en aucun cas les stigmatiser ou leur interdire certains comportements.
- « Mais regardez la lutte des femmes en Iran, en Arabie Saoudite ! » La réponse est simple : nous ne sommes ni en Iran, ni en Arabie Saoudite. Ce qui peut être un signe de solidarité avec les femmes qui se battent dans ces pays, c’est de proclamer haut et fort le droit des femmes à décider elles-mêmes. Et pas la demande d’une interdiction venue d’en « haut » – donc souvent des hommes. « Interdire » ou « obliger » ne sont que les deux faces d’une même médaille.
- « L’islam n’exige pas le port du foulard, c’est une interprétation machiste. » Sorry, nous ne sommes pas des spécialistes de l’islam. Nous laissons aux femmes musulmanes décider ce qu’il en est de l’obligation et surtout de leur choix.
- « Mais on l’impose aux petites filles, de plus en plus jeunes… » On peut être choquée de voir des fillettes avec le foulard, sachant que dans ce cas c’est un choix des parents. Peut-être faut-il relativiser en rappelant que les parents font beaucoup de choix pour leurs enfants, en tenant ou non compte de leur avis, à commencer par le choix de l’école et des cours de religion ou de morale laïque. A quoi mènerait une interdiction du foulard ? Sans doute à ce que les parents les plus « décidés » retirent leurs petites filles de l’école, pour les envoyer dans des écoles islamiques ou les éduquer à la maison, les coupant ainsi du contact avec d’autres enfants, d’autres cultures, d’autres points de vue, en les enfermant dans un « entre soi » qu’on leur reprochera ensuite. Il ne faut pas sous-estimer les risques de prosélytisme mais là encore, c’est aux directions d’école à être vigilantes, sans sanctionner les enfants.
- « OK pour l’espace public, mais pas dans le travail. » Il y a eu il y a quelques années un cas emblématique d’une enseignante en maths licenciée pour port du foulard, seules les enseignantes de religion ayant le droit de le porter. On renvoie ainsi les femmes à certains postes (prof de religion, caissière dans une supérette de produits halal… ou femme de ménage), en leur interdisant tout accès au monde du travail « mainstream » (pour ensuite leur reprocher leur manque d’intégration). Sans compter celles qu’on empêche carrément de travailler. On peut penser au contraire qu’être prof de maths, ingénieure, parlementaire, fonctionnaire… leur permettrait bien mieux toute émancipation.