Positions de Garance

Garance a pris position par rapport à une variété de sujets qui touchent notre mission, c’est à dire l’égalité entre les femmes et les hommes par la prévention des violences basées sur le genre.

Pour le moment, sont disponibles :

Revendications pour les 10 ans de Garance

A l’occasion des dix ans de Garance, l’assemblée générale a adopté les revendications suivantes :

Garance, un portrait

Garance défie les idées reçues sur la violence par son analyse féministe de genre. Remettre en question les stéréotypes sexistes permet aux femmes et aux hommes de créer des nouvelles solidarités et de renforcer celles qui existent. Le respect de l’intégrité physique et morale, ainsi que le respect des limites de chacun/e font partie intégrante des droits humains fondamentaux. Voilà pourquoi Garance favorise et renforce le droit pour chacun/e de choisir et de poser ses propres limites, de façon individuelle et collective.

Garance s’inscrit dans une logique de prévention primaire, entre autres par l’autodéfense. Nous appliquons une approche pédagogique collective, globale et cohérente en tenant compte de toutes les facettes d’une personne, qu’elles soient émotionnelles, mentales, verbales ou physiques. Nous voulons contribuer à plus de bien-être et de sécurité.
Nos activités permettent aux participant/e/s de développer et renforcer leurs ressources, leur détermination et une image plus positive d’elles/eux-mêmes et de leur groupe social. Nous oeuvrons à développer des éléments indispensables à ceux-ci à savoir l’autonomie, la confiance en soi et la capacité d’action des citoyen/ne/s.

Garance a dix ans...

... et elle a besoin d’un cadre politique claire et cohérent.

Investir dans la prévention primaire permet d’épargner des dépenses importantes dans les secteurs curatif et répressif. La Belgique doit honorer ses engagements internationaux pour développer une politique de prévention des violences efficace. Une vraie politique de prévention primaire :

  • est transversale et interdisciplinaire/intersectorielle
  • a une coordination forte et continue entre tous les niveaux et entités fédérées de notre paysage politique complexe
  • suit une vision à long terme
  • chiffre les coûts des violences pour la collectivité
  • investit des moyens financiers et humains suffisants
  • utilise le gender budgetting pour s’assurer que toutes les politiques publiques participent à la prévention des violences
  • couvre toute la population et cible spécifiquement des groupes particulièrement vulnérables
  • rend visible, valorise et utilise l’expertise spécifique et la capacité d’action des femmes en matière de sécurité par un processus de prise de décision participative
  • évalue ses outils régulièrement afin que les investissements mènent à une réelle diminution des violences

... et elle a besoin que l’éducation soit non-sexiste.

Il n’y a pas d’âge pour apprendre. C’est pourquoi la prévention des violences doit avoir sa place dans l’enseignement dès le plus jeune âge. Pour cela, il faut :

  • Inclure dans le programme scolaire, dès la maternelle, des ateliers de lutte contre les stéréotypes sexistes et les discriminations, ainsi que des cours d’autodéfense féministe spécifiques au genre
  • Former les enseignant/e/s et éducateurs/trices à la prévention des violences
  • Mettre en place des procédures et des programmes pour lutter contre le harcèlement sexuel et moral dans l’enseignement, y compris l’enseignement supérieur

... et elle rêve de travailler en sérénité quand elle sera grande.

Depuis 2002, la Belgique s’est dotée d’une loi pour la lutte contre les violences et le harcèlement au travail obligeant les employeurs à prendre des mesures de prévention. Il faut :

  • que la loi de bien-être au travail précise les mesures en matière de prévention primaire des violences et du harcèlement au travail
  • encourager les employeurs à mettre en place des plans de prévention primaire, y inclus des formations d’autodéfense reconnues par le dispositif chèques formation
  • former les personnes de confiance et les conseillèr/e/s de prévention à la prévention primaire des violences

... et elle a besoin de se sentir en sécurité dehors.

La sécurité est souvent réduite aux seules questions policières et sociales. Mais l’environnement urbain a un impact important sur le sentiment de sécurité des femmes et des hommes. C’est pourquoi il faut :

  • intégrer la lutte contre les violences et le sentiment d’insécurité dans le domaine de l’aménagement urbain

... et elle a besoin d’aide face à la violence.

Des nombreux services d’aide aux victimes et aux auteurs de violence existent, mais il y a trop peu de places disponibles. De plus, des lacunes persistent, ce qui résulte dans l’exclusion de certains groupes particulièrement vulnérables de ces services. C’est pourquoi il faut :

  • garantir l’accès de toutes les personnes, indépendamment de leur statut légal, aux structures d’aide pour victimes de violence et garantie de non perte du statut légal en cas de fuite du domicile conjugale pour causes de violence
  • demander aux auteurs de violence une réparation des dommages encourus pour la collectivité et pour la victime
  • créer une équivalence au Sécal (fonds qui paie les pensions alimentaires aux femmes puis les récupère auprès des maris) en tant qu’intermédiaire entre auteurs et victimes pour le paiement des soins, et d’une pension alimentaire pour des victimes financièrement dépendantes de l’auteur

... et elle a besoin d’argent.

Depuis 10 ans, Garance fonctionne avec des bouts de ficelle et de l’autoexploitation de ses membres. Nous avons pu réaliser des avancées importantes, mais cette situation ne peut pas continuer ainsi – nous avons besoin d’un financement structurel. Nous appelons les autorités à investir dans une structure durable de prévention primaire des violences qui peut assurer l’amélioration de qualité et le maintien des acquis, entre autre par :

  • des cours d’autodéfense féministe gratuits pour tou/te/s
  • la création de nouveaux outils pour travailler avec des groupes vulnérables
  • la formation de nouvelles formatrices
  • la création de partenariats durables
  • l’intégration des garçons et des hommes

Gestation pour autrui

Lors d’une assemblée générale extraordinaire organisée en février 2015, les membres de Garance se sont prononcé-e-s contre toute légalisation de cette pratique.

En préliminaire, l’AG a insisté sur la nécessité de se démarquer clairement de l’opposition de groupes ou organisations qui rejettent la GPA au nom de la famille « naturelle », « traditionnelle », ce qui les amène à rejeter également l’avortement ou l’homoparentalité, que ce soit au nom d’une religion ou du conservatisme social. Garance se situe clairement du côté de l’innovation sociale et de tout ce qui va dans le sens d’une émancipation des enfants et des femmes : ce qui n’est de toute évidence pas le cas du système des mères porteuses.

Cette prise de position s’inscrivait dans un contexte particulier : d’une part, l’organisation à Bruxelles d’une première « bourses aux bébés » (en mai 2015) ; d’autre part, l’existence de projets de loi, après une longue réflexion au Sénat (où les féministes n’ont pas été invitées : certaines ont juste eu une rencontre avec Ecolo-Groen et/ou avec le PTB). Il est intéressant de noter que la GPA devait faire partie au départ d’un projet de loi plus large sur les nouvelles formes de famille ; les politiques devront nous expliquer comment et pourquoi cet aspect a disparu. Actuellement en Belgique, la GPA n’est ni autorisée, ni interdite ; des GPA sont pratiquées dans quatre hôpitaux. Entre 150 et 200 enfants sont ainsi nés depuis 1992 ; beaucoup de demandes ont été refusées, mais des GPA sont aussi pratiquées à l’étranger.

La GPA commerciale (qui n’est de toute façon revendiquée par aucun parti en Belgique) est évidemment inacceptable : il s’agit d’une marchandisation du corps des femmes, de la réduction de l’enfant à un « produit sur commande » et enfin, elle résulte d’un rapport de pouvoir croisant genre et vulnérabilité socio-économique entre « parents d’intention » et mère porteuse.
Le cas de la GPA « altruiste » est plus compliqué. Il faut pouvoir répondre aux arguments qui lui sont favorables. Voici quelques-uns des arguments « pour » et les objections possibles.

  • « Les parents qui ne peuvent avoir d’enfants sont en souffrance » : la souffrance des uns ne peut pas justifier l’exploitation des autres. Par ailleurs, il faudrait interroger ce désir d’enfant biologique à tout prix.
  • « Dans une GPA altruiste, la mère porteuse est volontaire ; elle fait ce qu’elle veut de son corps, c’est un principe féministe » : le « choix » n’est pas toujours aussi libre, il peut être contraint, que ce soit pour des raisons économiques ou affectives, ou encore dans un rapport de force. Par ailleurs, quand on regarde des exemples de contrats entre mère porteuse et parents d’intention, on s’aperçoit que la femme ne dispose plus de son corps mais le met à disposition d’autrui : un tel contrat comprend de nombreux engagements, depuis celui de ne pas boire ou fumer jusqu’à la liberté de déplacement, les conditions de l’accouchement, parfois même les relations sexuelles ou le droit à l’avortement. Enfin, on peut considérer l’ « altruisme » des femmes comme une exploitation en soi (et la porte ouverte à une culpabilisation des femmes qui refuseraient d’être mères porteuses, par « manque d’altruisme » !)
  • « Si on interdit la GPA, il faut aussi interdire le don d’organes » : on ne peut mettre sur le même pied une question de vie ou de mort et un désir d’enfant, aussi fort soit-il.
  • « La GPA doit être légalisée au nom de l’égalité des gays avec les lesbiennes qui peuvent recourir à la PMA » : la situation n’a rien de comparable, les lesbiennes n’exploitent le corps de personne pour devenir mères. Dans une GPA, deux corps de femmes sont utilisés, commercialement ou non : celui de la mère porteuse et celui de la donneuse d’ovule (deux situations qu’on ne peut comparer au don de sperme). Quant à l’inégalité entre gays et lesbiennes, on pourrait peut-être commencer par s’attaquer à toutes les inégalités entre hommes et femmes avant de s’indigner de celle-là.
  • « La pratique existe, il faut l’encadrer » : un encadrement donnerait comme signal qu’une telle pratique est socialement acceptable, ce qui ne ferait qu’augmenter la demande et ne mettrait pas fin aux pratiques commerciales (par manque de candidates mères porteuses, ou volonté de contournement de conditions strictes pour les parents d’intention).

Mais alors, que faire ?

La réponse n’est pas simple, surtout en prenant en considération le sort des enfants, qui ne doivent pas payer les choix de leurs parents. Mais il faut remarquer que la question se poserait aussi si une loi encadrait la GPA : que faire dans les cas qui sortiraient de ce cadre ? En cas d’interdiction, que faire des « délinquants » ? Les envoyer en prison ? Les prisons sont déjà surpeuplées et, dans une approche moins répressive, devraient être réservées aux personnes représentant un réel danger pour la société. Leur imposer une amende ? Quel montant serait assez dissuasif pour des personnes prêtes à dépenser des dizaines, voire des centaines de milliers d’euros pour satisfaire leur désir d’enfant ? Leur enlever l’enfant pour le proposer à l’adoption d’autres couples ? Cela représenterait un traumatisme supplémentaire pour ces enfants.

Finalement, étant donnée l’étendue (limitée) de la GPA, on pourrait peut-être simplement laisser la situation telle quelle. L’insécurité juridique, au nom de laquelle certain/e/s voudraient légiférer, peut justement servir de dissuasion. Quant aux personnes qui vont actuellement chercher une mère porteuse à l’étranger, il n’est pas du tout certain qu’une loi que la plupart des partis veulent très stricte les dissuaderait d’avoir recours à une solution plus « simple », quoique plus coûteuse.

En conclusion :

Garance se prononce contre la légalisation de toute forme de GPA, commerciale ou non. Légaliser la GPA reviendrait à faire de l’enfant un produit et à introduire une inégalité de plus entre riches et pauvres et entre hommes et femmes. L’ « altruisme » attendu de ces dernières n’est qu’une des formes de cette inégalité.

Garance est par contre favorable à l’élargissement des possibilités d’adoption et à de nouvelles formes de parentalité et plus largement, à une remise en question globale de la prise en charge des enfants limitée à la famille nucléaire. Une réflexion devrait également être menée sur ce désir d’enfant biologique à tout prix : désir « naturel » ou plutôt, socialement déterminé ?

Contre l’interdiction du foulard

L’Assemblée générale de Garance du 17 décembre 2018 a adopté le texte suivant :

Préambule : il ne s’agit pas ici d’être « pour » ou « contre » le foulard. Il s’agit de se positionner sur son interdiction, et ce que cela peut signifier pour celles qui le portent.

Position à défendre : En tant que citoyennes refusant de hiérarchiser les cultures, nous sommes contre une interdiction du foulard sous prétexte d’une « neutralité » qui revient surtout à considérer « nos » habitudes, « nos » façons de vivre comme les plus « normales », les autres n’étant que des « spécificités ». Comme féministes soucieuses de l’émancipation de toutes les femmes, nous refusons l’interdiction du foulard qui enfermerait celles qui le portent dans certaines écoles, certains métiers ou environnements de travail, ou pire encore chez elles, en restreignant leurs capacités de choix. Nous refusons de la même façon toute obligation de le porter, comme nous refusons toutes les autres innombrables obligations imposées aux femmes.

Argumentaire : Les arguments en faveur d’une interdiction du foulard peuvent être classés dans deux catégories : le foulard serait « une atteinte à neutralité », et un « signe de soumission des femmes ».

Le foulard serait une atteinte à la neutralité

D’abord, il faut savoir à qui s’adresse la « neutralité ». Si elle s’impose aux représentant.e.s de l’Etat, elle ne concerne pas les usagers.ères de ses services. On ne peut donc, au nom de la « neutralité », interdire le foulard pour les élèves à l’école, ni dans les emplois dans le privé. Aucune raison qu’une vendeuse, une architecte ou une directrice d’association ait une apparence « neutre ».

La question se pose autrement pour les profs, les agent.e.s de police, le personnel aux guichets des administrations. Là, il faut oser déconstruire cette idée même de « neutralité ». Nous avons tendance à considérer comme « neutre » ce qui nous ressemble. Si nous admettons que nous vivons dans une société multiculturelle, nous devons admettre qu’un costume-cravate, un tailleur ou le « jeans-t-shirt » (même sans inscription subversive) font, eux aussi, passer un message, qui n’est pas perçu de la même manière par l’ensemble de la population.

L’argument selon lequel un couple homosexuel souhaitant se marier serait mal à l’aise à la commune face à une employée voilée, devrait être mis sur le même pied que le malaise que peut ressentir un.e bénéficiaire du CPAS face à un.e employée portant des habits supposés chers. Pour l’un.e comme pour l’autre, c’est le professionnalisme qui doit l’emporter, et un mauvais accueil constitue une faute professionnelle à sanctionner. « L’habit ne fait pas le moine » n’est pas un proverbe musulman.

L’argument est encore moins recevable pour des candidates aux élections : on vote pour des représentant.e.s, non pas pour leur « neutralité » mais au contraire, justement, pour les idées, les positions qu’ils/elles défendent.

Le foulard serait un signe de la soumission des femmes

Pour des féministes, c’est évidemment l’argument central. On peut penser que l’oppression des femmes se manifeste autant par des obligations que des interdits en matière d’habillement. Si l’on admet que les femmes ont le droit de se promener en minijupe, de se maquiller (avec des produits parfois nocifs) ou de porter des hauts talons (qui peuvent abîmer les pieds et les genoux), elles doivent avoir le droit de porter le foulard (qui ne nuit pas à la santé). Le parallèle fait parfois avec l’excision est tout simplement indigne : le foulard n’est pas une mutilation et son port est réversible à tout moment.

Oui, mais... quelques arguments à réfuter

  • « C’est une obligation imposée aux femmes. » Si c’est une obligation, c’est une violence, et il est clair qu’il faut combattre toutes les violences. Certes, l’obligation peut prendre différentes formes ; certaines femmes le porteraient non pas par vrai choix (encore faudrait-il définir ce qu’est un vrai choix...), mais juste « pour avoir la paix ». Il s’agirait alors d’une « conduite d’évitement » comme il y en a tant d’autres, dans la façon de s’habiller, d’éviter certains lieux et certaines heures... Comme pour tous les autres cas, on peut proposer aux femmes des outils pour les renforcer, en aucun cas les stigmatiser ou leur interdire certains comportements.
  • « Mais regardez la lutte des femmes en Iran, en Arabie Saoudite ! » La réponse est simple : nous ne sommes ni en Iran, ni en Arabie Saoudite. Ce qui peut être un signe de solidarité avec les femmes qui se battent dans ces pays, c’est de proclamer haut et fort le droit des femmes à décider elles-mêmes. Et pas la demande d’une interdiction venue d’en « haut » - donc souvent des hommes. « Interdire » ou « obliger » ne sont que les deux faces d’une même médaille.
  • « L’islam n’exige pas le port du foulard, c’est une interprétation machiste. » Sorry, nous ne sommes pas des spécialistes de l’islam. Nous laissons aux femmes musulmanes décider ce qu’il en est de l’obligation et surtout de leur choix.
  • « Mais on l’impose aux petites filles, de plus en plus jeunes... » On peut être choquée de voir des fillettes avec le foulard, sachant que dans ce cas c’est un choix des parents. Peut-être faut-il relativiser en rappelant que les parents font beaucoup de choix pour leurs enfants, en tenant ou non compte de leur avis, à commencer par le choix de l’école et des cours de religion ou de morale laïque. A quoi mènerait une interdiction du foulard ? Sans doute à ce que les parents les plus « décidés » retirent leurs petites filles de l’école, pour les envoyer dans des écoles islamiques ou les éduquer à la maison, les coupant ainsi du contact avec d’autres enfants, d’autres cultures, d’autres points de vue, en les enfermant dans un « entre soi » qu’on leur reprochera ensuite. Il ne faut pas sous-estimer les risques de prosélytisme mais là encore, c’est aux directions d’école à être vigilantes, sans sanctionner les enfants.
  • « OK pour l’espace public, mais pas dans le travail. » Il y a eu il y a quelques années un cas emblématique d’une enseignante en maths licenciée pour port du foulard, seules les enseignantes de religion ayant le droit de le porter. On renvoie ainsi les femmes à certains postes (prof de religion, caissière dans une supérette de produits halal... ou femme de ménage), en leur interdisant tout accès au monde du travail « mainstream » (pour ensuite leur reprocher leur manque d’intégration). Sans compter celles qu’on empêche carrément de travailler. On peut penser au contraire qu’être prof de maths, ingénieure, parlementaire, fonctionnaire... leur permettrait bien mieux toute émancipation.

Conclusion : nous défendons donc la liberté de choix des femmes.

Prévenir les violences en temps de crise

Prévenir (plus que guérir) les violences

Les violences conjugales et intrafamiliales augmentent dans le contexte de la pandémie. On le sait, ces violences s’inscrivent souvent dans un cycle et dans une relation de domination. Celle-ci peut émerger ou être exacerbée par le confinement, la limitation des déplacements, la distanciation physique et les risques de contamination. Le blog Stop Féminicide recense déjà quatre meurtres de femmes par leur (ex-)compagnon depuis le début des « mesures de confinement ». Ces meurtres ne constituent que la pointe émergée de l’iceberg qui rassemble l’ensemble des types de violences faites aux femmes.

Dernièrement, le Conseil national de sécurité a annoncé un plan de déconfinement. Sa mise en application est programmée avant même que les “conditions strictes” reprises dans le rapport des experts aient été remplies. Ce plan laisse de nombreuses et importantes questions sans réponse. Or, nous avons affaire à une crise économique et une crise sanitaire qui, au-delà de la question du confinement-déconfinement, ont un impact sur les violences faites aux femmes et aux enfants et demandent des mesures urgentes.

Les associations spécialisées manquent de moyens, de personnel et de point d’appui structurel comme le mettait déjà en avant le rapport d’évaluation du respect de la Convention d’Istanbul, rédigé par les associations de terrain. Parmi dix recommandations clés, le rapport met notamment en évidence la nécessité de “développer, en étroite association avec la société civile, une politique globale et coordonnée de prévention primaire qui traverse tous les niveaux et domaines de compétence politique”.

Pour le moment, les mesures prises dans le cadre de la Task Force « Violences conjugales et familiales », réunissant les ministres francophones compétent·e·s, comprennent des actions de sensibilisation sur l’existence de services de prise en charge qui existent déjà (lignes d’écoute, services d’accompagnement de victimes) et quelques interventions d’urgence (logement de crise, aide juridique). Les équipes des services d’accompagnement sont très peu renforcées par des personnes formées (ce qui met énormément de pression sur peu de travailleuses) et les actions au niveau du logement et de la protection juridique, économique et sociale sont encore trop faibles et n’offrent pas de garanties sur le long terme.

Au niveau fédéral, rien n’a encore été mis en place. Des dizaines d’associations de terrain, francophones et néerlandophones, ont interpellé les ministres membres de la conférence interministérielle “Droits des femmes” avec quatre exigences majeures :

  • une politique coordonnée de prévention primaire.
  • un renforcement structurel des services spécialisés de prise en charge.
  • une proactivité de la police et une réactivité de la justice, en étroite collaboration avec les services spécialisés, pour garantir la protection de toutes les victimes.
  • un renforcement structurel des hébergements d’urgence dans la perspective d’une vie en autonomie et en sécurité.

Les violences conjugales ou intrafamiliales, ne peuvent pas être comprises de façon isolée. Ces violences sont structurelles, c’est-à-dire qu’elles sont organisées socialement et qu’elles ont un lien avec les autres types de violences de genre dans tous les espaces de la vie et de violences systémiques envers d’autres groupes marginalisés, comme les travailleurs·euses précaires, les personnes racisées, les personnes LGBTQIA+ et les personnes en situation de handicap. Dans le contexte actuel, la perte, voire la suppression nette, de revenus (concernant notamment les aides-ménagères, les travailleuses dans la prostitution, les travailleuses du secteur informel, les artistes, etc.), la surcharge du travail domestique (nourrir, éduquer, divertir, ...), la situation des femmes avec ou sans enfant en statut de séjour précaire et la proportion importante de travailleuses dans les secteurs essentiels, ne demandent pas seulement des filets de sécurité mais des solutions structurelles et pérennes.
Dans deux autres articles, nous revenons sur différentes stratégies d’autodéfense pour prévenir les violences dans l’espace de nos vies quotidiennes et pour renforcer la solidarité. Par ailleurs, nous renvoyons aux recommandations du rapport alternatif et aux deux courriers adressés à la Conférence interministérielle Droits des femmes. Ces efforts vont de pair avec une réflexion féministe sur les conditions de travail dans le secteur associatif, socioculturel que nous avons entamée à l’occasion de la grève des femmes 2020.

Ici, nous souhaitons attirer l’attention sur des choix politiques déterminants en ce qui concerne la prévention primaire des violences à comprendre comme « tout ce qu’il est possible de faire pour empêcher que la violence ne survienne ». La crise du coronavirus met à nu et aggrave les lacunes de la prévention secondaire et tertiaire des violences mais aussi de la prévention primaire. Or, c’est grâce à une politique globale de prévention primaire que le nombre de femmes et d’enfants touchés par les violences tout comme le nombre d’auteurs, y compris en temps de crise sanitaire, pourrait baisser. Malgré nos interpellations, nous ne voyons aucun effort pour soutenir et renforcer la prévention primaire. Nous continuons donc de défendre la nécessité de :

  • Financer structurellement et à hauteur des besoins sociaux. Les associations actives dans la prévention des violences doivent être financées de façon pérenne et suffisante. Nous ne pouvons plus perdre notre temps et nos ressources à répondre à des demandes de subsides éparses et éphémères. Ce financement doit également être à la hauteur des besoins car nous ne pouvons plus faire le travail de 10 personnes en étant 4 ni faire le choix entre notre auto-préservation et les besoins urgents et importants des publics avec lesquels nous travaillons.
  • Exclure l’arrêt ou le report de subventions publiques dans le cadre de la crise sanitaire. Bien que de nombreuses activités doivent être suspendues pour des raisons sanitaires, les subventions doivent être maintenues (avec possibilité d’exonération de justificatifs pour la période concernée). Par ailleurs, il ne peut pas être demandé aux associations de travailler bénévolement dans un temps ultérieur pour parer à la suspension des activités pendant la période de confinement.
  • Soutenir l’autodéfense féministe pour les femmes et les enfants. Plutôt que de nier l’existence des violences systémiques, des agressions verbales, psychologiques, sexuelles et physiques qui touchent majoritairement les femmes et les enfants, l’autodéfense féministe permet plutôt de se préparer à devoir y faire face. Elle agit en amont pour donner les moyens de repérer les différentes formes de violences, de se protéger et de se mettre en sécurité. L’approche féministe permet de défendre une approche collective, déculpabilisante, rassurante et renforçante.
  • Responsabiliser les hommes. Les violences faites aux femmes ne surgissent pas de nulle part. Elles sont en grande majorité commises par des hommes sur des femmes et des enfants dans le contexte d’un rapport de domination systémique. Pour prévenir les violences, il est nécessaire de viser spécifiquement les hommes dans les campagnes de communication et de soutenir les associations qui ont une expérience sur le sujet. Cet aspect est d’autant plus important dans le contexte de la pandémie qui limite les stratégies individuelles et collectives d’autodéfense. Le contexte est aussi un terreau propice à la mutation de violences verbales en violences physiques ainsi qu’à la multiplication d’agressions de frustration.
  • Donner les moyens d’agir en tant que témoin. La prévention passe aussi par le fait de ne pas faire des violences une affaire privée et de ne pas considérer l’autodéfense comme un acte individuel. Par contre, il est loin d’être évident de savoir quand et comment intervenir d’une façon juste, sûre et efficace. Il est nécessaire de soutenir le développement et la diffusion des outils par les associations de terrain.
  • Mettre en place des formations obligatoires et régulières à destination de tou·te·s les agent·e·s de l’Etat, du personnel des secteurs psycho-médico-sociaux, judiciaire et de l’enseignement. Ces formations doivent permettre de comprendre le continuum des violences faites aux femmes et aux enfants, les mécanismes de violences entre partenaires et d’intervenir de manière adéquate. Elles doivent être données par des actrices reconnues de la société civile et selon des critères de qualité.
  • Donner les moyens à toutes les associations de rendre leurs outils et services accessibles aux personnes socialement vulnérabilisées comme les personnes en situation de handicap (adaptation en langue des signes, Falc, infrastructures, accès PMR) et les personnes ne parlant pas ou difficilement le français ou le néerlandais (traduction, interprétariat). Cela passe aussi par la diversification des moyens de communication afin de lutter contre la fracture numérique.
  • Construire un centre d’expertise autonome. Mettre en place un centre autonome d’expertise féministe sur les violences à l’égard des femmes qui livre des analyses et données pour informer toute décision politique de leur impact sur la prévention (ou l’aggravation) des violences.

La vulnérabilisation économique et sociale expose et rend particulièrement difficile de faire face aux violences liées au genre ou de s’en remettre. Actuellement, le contexte de crise sanitaire rend l’effet des inégalités encore plus fort et violent. De nombreuses personnes dont la majorité sont des femmes, sont encore plus isolées, malades, angoissées, démunies. C’est pourquoi, nous défendons également la nécessité de :

  • Régulariser de façon immédiate, permanente et sans condition, toutes les personnes sans statut de séjour ou avec un statut de séjour précaire. Comme le demande, notamment, la Coordination des sans papiers de Belgique dont fait partie le Comité des femmes sans papier. Cette nécessité est rendue particulièrement urgente dans le cadre de la crise sanitaire.
  • Garantir une sécurité et une autonomie financière à toutes notamment via l’individualisation des droits sans perte de revenu, l’augmentation du revenu d’intégration sociale au-dessus du seuil de pauvreté, l’allègement des démarches administratives et l’automatisation de l’accès au RSI. Le collectif Solidarité contre l’exclusion et Vie féminine proposent plusieurs pistes d’actions. Dans le cadre de la crise sanitaire, cela implique également de contrer les effets de pertes de salaire, du chômage temporaire et des congés maladies liés à la crise sanitaire et/ou à la nécessité de faire face à des violences.
  • Garantir un logement pérenne pour toutes. Les pistes d’action sont nombreuses du côté des associations pour le droit au logement, des maison maternelles et des associations d’aide aux personnes sans-abris. Dans le cadre de la crise sanitaire, quelques initiatives de crises ont pu être mises place grâce à la réquisition de bâtiments ou d’hôtels.
  • Garantir un accès à la santé à toutes notamment via une couverture maladie gratuite et universelle. A ce titre, le Réseau européen contre la commercialisation et la privatisation de la santé offre plusieurs pistes. Dans le contexte de la pandémie, les dépistages généralisés et la distribution gratuite de masques à l’ensemble de la populations sont impératifs.
  • Ne laisser personne sur le côté. La situation des personnes les plus précarisées doit orienter l’ensemble des politiques publiques plutôt qu’être considérée comme marginale ou non prioritaire. Nous pensons en particulier aux travailleuses du secteur informel (nettoyage, horeca,...), aux travailleuses dans la prostitution et aux travailleuses sans-papier qui n’ont aucun filet de sécurité pour faire face à la situation de crise sanitaire. Nous pensons également aux femmes sans-abris ou vivant dans des logements insalubres. Aux femmes malades dont les soins ont été interrompus ou qu’elles reportent à plus tard parce qu’elles n’ont pas la possibilité de s’occuper d’elles. Aux mères seules avec un enfant en situation de handicap. Aux femmes âgées qui consacraient énormément de leur temps à prendre soin de leurs petits enfants et qui sont désormais forcées de limiter au grand maximum contacts sociaux et déplacements. Enfin, nous pensons aux femmes vivant dans les maisons de repos qui sont les plus exposées au virus et qui décèdent loin de leurs proches. Nombreuses d’entre elles sont dans une situation de grande précarité.
  • Mettre fin à l’oppression policière dans les quartiers populaires, dans les centres d’hébergement et vis-à-vis des personnes au statut de séjour précaire. Ces pratiques augmentent le climat d’insécurité et rendent d’autant plus difficile l’accès aux services d’aide.
  • Faciliter plutôt que criminaliser la solidarité pour qu’elle puisse avoir lieu dans le respect des conditions sanitaires en fonction de la spécificité de chaque situation.
  • Communiquer largement et clairement sur tous les services qui continuent d’être accessible et sur la façon d’y accéder (santé mentale, droits sexuels et reproductifs, maternité, aide juridique, etc.). C’est notamment ce que recommande la Fédération laïque des centres de planning familial face au mot d’ordre du confinement et d’éviter les déplacements.

Le financement de ces revendications doivent se faire à la hauteur des besoins en allant chercher des budgets nécessaires là où les moyens existent. La situation actuelle montre l’importance de répondre aux revendications des associations de terrains. Toute situation de crise peut être une opportunité pour prendre une nouvelle direction. En effet, une véritable prévention demande que les choix politiques ne soient plus orientés par les intérêts d’une minorité de privilégiés au détriment de l’ensemble de la population. Elle demande un changement de cap radical où les relations sociales, le travail du soin, l’éducation, la culture et la créativité, le respect de la nature, guiderait l’organisation économique et sociale. Nous avons besoin d’une société qui ne laisse personne sur le côté, d’une société qui prévienne les violences plutôt que de les entériner.


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