Pourquoi les femmes se sentent-elles parfois en insécurité dans les rues de Bruxelles ? Alors même que le sentiment subjectif d’insécurité est fortement discuté dans les politiques publiques et dans les médias, la question n’est que très rarement abordée de manière genrée. C’est tout l’intérêt du nouveau projet lancé par Garance en janvier dernier, à la demande du ministre Emir Kir, en charge de l’urbanisme à la Région de Bruxelles-capitale. Il s’agit d’observer ce « sentiment » vécu par les femmes dans l’espace public des communes bruxelloises.
Nous avons commencé par une recherche de littérature afin de savoir ce qui existe déjà dans d’autres pays en matière d’intégration des questions de genre dans l’espace public. Cette récolte d’informations nous a permis de constater que de nombreuses choses sont entreprises pour que les femmes se sentent mieux dans les rues de leur ville. Comparé aux pays germanophones ou encore à Montréal, beaucoup reste à faire dans notre capitale.
Une des méthodes utilisées pour obtenir l’opinion des femmes sur l’espace public sont les marches exploratoires. Ces marches permettent à un petit groupe de femmes qui connaissent un quartier, de s’y promener en l’observant avec un autre regard.
Le groupe se déplace lentement, suivant un parcours décidé ensemble, dans des rues qui sont souvent bien connues et qu’on ne regarde plus vraiment. La marche exploratoire permet un temps d’observation nécessaire à la constatation d’aménagements pouvant être responsables de sensations désagréables qui nous amènent parfois à éviter certains lieux, à modifier nos déplacements dans l’espace public. La marche est encadrée par une méthodologie étudiée et décidée à l’avance pour permettre aux participantes de se pencher sur leurs ressenti grâce à des exercices de perceptions tels que : qu’entend-on ? Que sent-on ? Est-ce agréable de marcher ici ? Serait-ce désagréable d’attendre quelqu’un ici ? Jusqu’où est ce que je peux voir ? Qu’est ce qui fait que je me sens chez moi ? Toutes ces questions amènent les femmes à mettre des mots sur des sensations parfois inconscientes jusque là.
19 marches ont été réalisées dans 10 communes de Bruxelles avec une petite centaine de femmes. De Molenbeek à Watermael-Boisfort, nous avons arpenté les rues de la capitale en posant des questions à leurs usagères. Nous voulions toucher les femmes bruxelloises dans toute leur diversité et pour cela nous avons collaboré avec des associations, des communes et des participantes à nos propres activités, afin de pouvoir rentrer en contact avec le plus de femmes possible.
L’analyse des résultats et la rédaction des recommandations seront publiées sous forme d’une brochure destinée aux professionnel/le/s qui ont un rôle à jouer dans la prise de décisions dans l’espace public. La brochure sera présentée à toutes les participantes des marches, les fonctionnaires régionaux/ales, les élu/e/s communaux/ales, et toutes les personnes intéressées par le projet, lors d’un évènement festif qui se déroulera en septembre prochain.
Voici déjà un avant-goût de constats qui reviennent très souvent dans les observations des participantes.
Il s’agit par exemple de rajouter des panneaux d’informations à l’intention des piétons. Car nous avons constaté dans toutes nos marches que le manque de panneaux, tant pour les directions que pour signaler les commissariats de police, les hôpitaux, et les maisons communales, est un problème omniprésent à Bruxelles. Ce qui ressort de façon systématique également, c’est le manque de toilettes publiques pour femmes, gratuites et entretenues, ce qui prolongerait le séjour des femmes dans l’espace public. L’importance de pallier le manque d’éclairages dans certaines rues secondaires par rapport à des grands axes, qui nous plonge dans une obscurité soudaine, est aussi apparue comme problème récurrent. Les pavés des rues de Bruxelles engendrent un sentiment mitigé. On les apprécie pour leur charme mais on déplore le manque d’accessibilité pour tous et toutes qu’ils engendrent, soit parce qu’ils sont en mauvais état, soit parce qu’ils sont simplement impraticables pour les personnes à mobilité réduite. Ces personnes ainsi que celles qui se déplacent avec des caddies ou avec des poussettes sont aussi souvent bloquées par des terrasses de café trop envahissantes, des étalages, ou simplement des trottoirs mal aménagés. Toutes ces choses peuvent devenir de réels obstacles dans le libre accès à la ville pour tous et toutes . Nous avons également remarqué qu’une partie des remarques n’exigerait pas de gros réaménagements de l’espace public, mais plutôt de petites adaptations de pratiques souvent pensées depuis longtemps par des hommes pour des hommes.
Durant quelques marches, l’équipe de réalisation de Zakana production, à la demande du CWEHF (Conseil Wallon pour l’Egalité Homme Femme), nous a suivies afin de réaliser un court documentaire pour expliquer ce que sont les marches exploratoires. Le film est très réussi et permet de comprendre la dynamique d’une marche et son déroulement. Il sera projeté lors de notre présentation de la brochure au mois de septembre.
Ce projet a permis de rencontrer des femmes motivées et intéressées par la thématique et nous les en remercions vivement. Elles étaient toutes contentes de pouvoir donner leur avis sur un espace qu’elles utilisent quotidiennement et qui a parfois une répercussion importante sur leurs comportements et leur vie de tous les jours. Cette méthode participative démontre une richesse de propositions et d’idées insoupçonnée. Nous allons les retranscrire fidèlement afin qu’à l’avenir les besoins spécifiques des femmes soient pris en compte dans les modifications de l’espace public.
Garance aimerait donner suite à ce projet en faisant des marches exploratoires un outil participatif de référence dans le cadre de l’aménagement du territoire à Bruxelles et dans le reste de la Belgique. Car quand les femmes sont en marche, rien ne les peut les arrêter !